NÈGRE MARRON.
Depuis le temps de l'esclavage, le Nègre de la Martinique n'a jamais cessé de « marronner », c'est-à-dire de tenter d'échapper à sa condition, en gagnant les grands bois, les quartiers plébéiens des bourgs ou même les îles avoisinantes.
Simon, figure principale de ce livre, fut l'un d'eux. Il connut au XVIIe siècle l'arrivée des premiers esclaves d'Afrique-Guinée, au XVIIIe l'enfer des plantations sucrières, au XIXe la fièvre de l'abolition, au début du XXe celle des grèves marchantes et, à l'aube du XXIe, la cavale des desperados de la fausse modernité.
L'Habitation Grand'Case, où régna neuf générations durant la famille béké de Beauharnais, est au centre de ce récit qui se présente comme une fresque, ou plutôt un bas-relief. Tantôt esclave africain ayant fui dès l'arrivée du bateau négrier au port de Saint-Pierre, tantôt esclave créole en rupture de ban, Simon arpente sans trêve les mornes boisés du Carbet, habité par des rêves fous : retourner au Pays d'Avant, assassiner son maître, s'échapper vers une île anglaise ou espagnole, abattre la plantocracie et instaurer le règne de la classe ouvrière, détruire le pays tout entier !
Il incarne la Parole inaudible de celui qui n'a pour tout viatique que sa soif de vivre en toute dignité, par opposition à l'Écrit des maîtres blancs, à leurs registres d'économat, leur Bible, leurs actes paroissiaux, leurs affiches et leurs journaux.
Sans développer aucune thèse, Raphaël Confiant sort de son registre narratif habituel pour s'aventurer dans une écriture méditative, presque mélancolique, à l'écoute des mouvements de l'âme du Nègre Marron qui, loin d'être la figure héroïque que d'aucuns se sont efforcés de chanter, fut un être habité par la plus universelle des exigences : celle de la liberté.